2) Les huiles essentielles
On aborde ici les huiles essentielles en tant que telles. Pas celles utilisées dans certains médicaments avec AMM (autorisation de mise sur le marché, voir explication chapitre médicaments vétérinaires). Pour les résidus par contre, les deux sont cités car on trouve peu d’essais représentatifs pour les produits hors AMM§.
Les huiles essentielles ou leurs composants sont des éléments attractifs pour les apiculteurs qui recherchent une méthode alternative à la lutte avec des acaricides qualifiés de « chimiques ». On utilise parfois le terme de thérapeutique alternative.
L’apparition de résistance à certains des traitements connus les positionne également dans la lutte contre varroa, de par le nombre d’essences qui existent.
Des études ont été et sont encore faites pour étudier leurs effets.
Leur prix et leur utilisation présentée comme simple sont souvent des arguments qui se rajoutent à leur réputation de traitement « sans risque » pour la santé humaine. On va voir qu’elles peuvent néanmoins avoir un impact sur la santé des colonies. Et que leur utilisation n’est justement pas sans risque. En l’occurrence le risque présente deux aspects ; un effet secondaire sur les abeilles ou une absence d’efficacité dans la lutte contre varroa.
Elles sont également soumises à une règlementation de prescription.
Définition d’une huile essentielle. ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) (Afssaps 2008) :
« Produit odorant, généralement de composition complexe, obtenu à partir d’une matière première végétale botaniquement définie, soit par entraînement par la vapeur d’eau, soit par distillation sèche, ou par un procédé mécanique approprié sans chauffage. L’huile essentielle est le plus souvent séparée de la phase aqueuse par un procédé physique n’entraînant pas de changement significatif de sa composition. »
C’est un liquide hautement volatile (évaporation rapide) présentant une odeur intense et caractéristique. Dans la nature, vis-à-vis des insectes ou acariens, elles peuvent être attractives ou répulsives, pour certaines, on leur reconnait des effets antifungiques (action de tuer des champignons) ou antibactériens (action de tuer des bactéries).
Les terpènes (= substance hydrocarbure produite par les plantes) représentent 90% des composants des huiles essentielles.
Les huiles essentielles de qualité doivent impérativement provenir de plantes botaniquement certifiées, c’est-à-dire identifiées par deux noms latins (Thymus vulgaris = Thym vulgaire).
La difficulté de standardiser
A noter que la composition en huile essentielle de chaque plante tend à être unique mais certaines espèces ont des variétés (appelées chémotypes) avec des compositions variables en huile essentielle. Thymus vulgaris présente au moins 7 chémotypes différents.
Il faut ajouter que les conditions de culture, de climat et d’environnement des plantes ainsi que les procédés d’extraction peuvent influencer la composition des huiles. Et donc de leurs effets. Ces différences ont été constatées par les chercheurs au niveau des résultats.
Il faut à ce sujet différencier une huile essentielle d’un produit avec AMM qui en contient et avec lequel on vise une régularité dans l’application.
D’un point de vue règlementaire, voici l’avis de l’ANMV:
L’administration à un animal dans le cadre de thérapeutiques alternatives nécessite le recours soit à des médicaments vétérinaires disposant d’une autorisation administrative délivrée par l’ANMV (l’AMM est la plus connue) soit à des préparations magistrales sur prescription vétérinaire par l’usage de substances végétales ayant la qualité de matières premières d’usage pharmaceutique au sens de la pharmacopée française. Elles ne peuvent en aucun cas être utilisées directement par les détenteurs d’animaux dans le cadre d’automédication.
Que peut procurer un médicament produit avec AMM dans le cas particulier des huiles essentielles ? (ANSES. ANNEXE à la décision n° 2015-03-07). ANSES. Note sur le statut juridique du médicament vétérinaire au regard des produits à base de plantes – Service Affaires Juridiques et Contentieux – 25 septembre 2013.)
Un contrôle des matières premières et de la qualité des produits (cas des produits à base de plantes) :
Compte tenu de leur nature souvent complexe et variable, le contrôle des matières premières, le stockage et le traitement de ces produits revêtent une importance particulière dans la fabrication des médicaments à base de plantes. La matière première mise en œuvre pour la fabrication d’un médicament à base de plantes peut être une plante médicinale, une substance végétale ou une préparation à base de plantes. La substance végétale doit être de qualité appropriée et des données justificatives doivent être fournies au fabricant du médicament/ de la préparation à base de plantes. Des informations détaillées sur la production agricole peuvent être nécessaires afin d’assurer une qualité reproductible de la substance végétale. La sélection des graines, la culture et les conditions de récolte sont des aspects importants pour s’assurer en permanence de la qualité de la substance végétale et in fine du produit fini Les données sur la source de la plante (pays ou région d’origine, et le cas échéant, culture, période et procédures de récolte/ cueillette, pesticides éventuels utilisés, contamination radioactive possible, etc.).
Un contrôle des fournisseurs :
Une documentation complète sur les audits des fournisseurs de matières premières d’origine végétale, effectués par ou au nom du fabricant de médicaments à base de plantes, doit être disponible.
Un système de production de qualité pharmaceutique
La gestion de la qualité est un large concept qui couvre tout ce qui peut, individuellement ou collectivement, influencer la qualité d’un produit. Elle représente l’ensemble des dispositions prises pour garantir que les médicaments sont de la qualité requise pour l’usage auquel ils sont destinés. La gestion de la qualité intègre donc les bonnes pratiques de fabrication. Tous les procédés de fabrication sont clairement définis, systématiquement revus à la lumière de l’expérience et montrent qu’ils sont capables de produire de façon répétée des médicaments de la qualité requise et conformes à leurs spécifications.
Les maîtres mots sont qualité des matières premières, traçabilité, répétabilité. On ne peut pas imaginer d’utiliser un médicament qui ne produirait pas le même effet à chaque application.
En pratique
Plus de 150 huiles essentielles ont été testées pour mettre en évidence leur activité acaricide. Seules quelques-unes se sont révélées prometteuses lors d’essais de terrains. Parmi elles, c’est surtout le thymol qui s’est imposé en pratique, en particulier dans les protocoles de lutte biologique contre varroa, également pour sa bonne tolérance par les abeilles. (Imdorf et al, 1999). Les essais ont été réalisés en topique (directement sur les varroas, en pulvérisant), en évaporation naturelle ou encore en les chauffant. L’évaporation passive semblait être la meilleure voie d’administration.
Des mesures sur l’effet acaricide mais aussi de l’impact sur les abeilles et le couvain ont été faites.
Par exemple, sur un lot de 24 huiles avec un fort taux de mortalité des acariens, seulement 9 n’incommodaient pas les abeilles et présentaient des taux de « mortalité abeille » inférieurs à 10% !
Certaines huiles ont bien montré des pouvoirs répulsifs sur les acariens mais d’autres étaient plutôt attractives et il faut aussi noter des différences entre les tests in-vitro et les essais terrain sur des colonies. On aborde les conditions d’application (les bonnes pratiques d’utilisation du médicament vétérinaire; L’éfficacité / la résistance / la pharmacovigilance), c’est facile de reproduire une expérience en laboratoire (T°, humidité constantes), ce n’est pas le cas dans la nature…
Pourtant, les conditions d’application (taille de la colonie, climat et T°…) ont une grande influence sur les résultats obtenus sur le terrain.
Il apparait des difficultés pour prédire les effets dans des conditions d’application différentes. Tout le problème de la répétabilité du traitement, un produit qui aurait une efficacité de 95 % à une t° extérieure de 25° va tomber à 60 % d’efficacité à 15°
Le thymol est ressorti comme une des huiles essentielles intéressantes par ses effets et est fréquemment utilisée en apiculture dans la lutte contre varroa, avec un effet acaricide reconnu.
Il est toléré par les abeilles, même si on constate des déplacements de couvain ou de nourriture dans le voisinage du produit. Un nourrissement est d’ailleurs conseillé avant le traitement.
Il est déconseillé de traiter les colonies à des T° ambiantes supérieures à 27/30°.
Les conditions d’utilisation sont strictes ; durée d’application trop courte ou climat trop froid peuvent conduire à un échec.
Des mélanges ont également été testés, eucalyptol, linalol, citronelle…avec des résultats mitigés, on note surtout que l’efficacité augmentait en absence de couvain. On aborde la lutte alternative. (Imdorf 1999)
Et les résidus… ?
Quand on parle de résidus, on pense d’abord au miel et au consommateur (voir tableau résidus miel et cire). Le thymol est un constituant naturel des plantes et du miel, en Europe, il n’y a d’ailleurs pas de LMR fixée pour cette substance (comme pour les acides oxaliques et formiques qui sont aussi des composants retrouvés naturellement dans le miel). Néanmoins, si les traitements au thymol sont administrés en saison apicole, les résidus peuvent atteindre des niveaux dans le miel qui modifient son gout. (Bogdanov, 2006)
Il ne faut toujours pas perdre de vue une autre denrée importante pour l’abeille ; la cire.
Le tableau suivant vous donne les valeurs de résidus de thymol retrouvés dans la cire et dans le miel avec l’utilisation des produits avec AMM et une valeur miel avec une utilisation de produits dits « fait maison ». (Bogdanof, 2006)
On constate dans le tableau des taux de résidus de thymol qui peuvent se révéler importants dans la cire dites de corps, cire prélevée dans la zone où est élevé le couvain, (le corps de ruche), en opposition à cire de hausse(cadres à miel, où le miel est stocké), et cire « étirées »,dites d’opercules (uniquement la cire collectée en désoperculant les cadres de miel pendant l’extraction).
Et pour les abeilles ?
Une étude récente a pu établir que le thymol était un composé moyennement toxique pour les larves d’abeilles exposées de manière aigüe (exposition courte) via la cire ou la nourriture.
Les quantités de thymol pour nuire aux larves sont élevées (respectivement de 2100 mg de thymol/kg de cire et de 2000 mg de thymol/kg de nourriture).
Mais de manière chronique, (sur le long terme), on peut observer des mortalités sur les larves à des taux de l’ordre de 690 mg de thymol/kg de cire et de 700 mg de thymol/kg de nourriture. On a observé aussi des anomalies de développement des larves (retard de croissance).
Les larves sont plus sensibles à une exposition chronique au thymol qu’à une exposition aigüe.
Il apparait aussi que les concentrations de résidus de thymol retrouvées en particulier dans la cire présenteraient un danger pour les abeilles au cours du développement larvaire, accentué pour les jeunes larves relativement plus exposées que les autres eu égard à leur petite taille. (Charpentier, 2013)
Discussions
L’idée du traitement sans risque véhiculée par certains concernant l’utilisation des huiles essentielles est infondée, et comme tous les traitements, il faut peser le pour et le contre de cette utilisation, voir également les bonnes pratiques d’utilisation d’un traitement.
Le bénéfice est de tuer ou empêcher d’agir un maximum de varroas, le risque est de nuire à la colonie : tuer ou faire fuir les abeilles, tuer ou provoquer des malformations des larves. L’inefficacité du traitement est un risque aussi L’efficacité / la résistance / la pharmacovigilance.
Les huiles essentielles ont un intérêt dans la lutte contre varroa, leur effet acaricide a été démontré pour certaines. Il a été également montré la difficulté de reproduire leur effet si les conditions d’application changent. C’est l’intérêt des médicaments avec AMM qui ont des supports de diffusion qui permettent une reproduction plus régulière de l’application.
Des résidus sont produits et peuvent s’accumuler dans la cire. Une contamination du miel est possible également.